Du féminisme à la non-binarité

A l’adolescence, la lecture de l’essai Du Côté des petites filles d’Elena Gianini Belotti a été pour moi une révélation, cela a été ma première prise de conscience de la construction sociale et inconsciente du genre. Elevé.e par des parents féministes (une mère qui ne portait jamais de jupe ni de maquillage, gagnait plus que son conjoint et valorisait les jouets non-genrés ; un père qui prenait en main l’essentiel des tâches ménagères et le soin quotidien des enfants), j’avais toujours baigné dans ces thématiques-là. Mais c’est à partir de cette lecture que ma conscience féministe s’est construite de façon autonome. Je n’avais pas imaginé l’ampleur du conditionnement subi par les tous jeunes enfants jusqu’alors, et j’étais persuadé.e que ce que faisaient mes parents pour lutter contre les stéréotypes de genre était largement suffisant.

Un petit livre qui n’avait l’air de rien dans une étagère…

Plus tard, j’ai poursuivi mon analyse un peu plus loin, en liant les thématiques féministes avec les notions de partriarcat et de capitalisme, d’exploitation systémique. Mes parents ont pris en charge, 20 ans plus tard, l’éducation d’un garçon, et je me suis rendue compte de différences subtiles dans leur façon de l’élever. Son comportement plus agité, plus agressif était bien mieux accepté, voire discrètement valorisé.

Bref, le genre, ça commence bien à la naissance.

Et quand j’ai eu moi-même des enfants, des deux genres, bien sûr que j’ai contribué à ces stéréotypes. Je continue de le faire au quotidien. Et ça m’agace.

La première stratégie, celle de mes parents, c’est de lutter contre les stéréotypes en allant toujours plus loin dans l’élargissement des choses qui sont autorisées aux filles et celles qui sont autorisées aux garçons. J’ai par exemple fait partie de ces parents enthousiastes qui ont imprimé, découpé et distribué à leurs enfants et à leurs amis, dans le square après l’école, les dépliants très inspirants de Maman Rodarde.

Dépliant : « Pour que les petites filles puissent être et aimer ce qu’elles veulent, sans qu’on les emmerde ». Le même existe pour les garçons.

Ces derniers mois, le fait de suivre de nombreuses personnes LGBT+ sur Twitter et la lecture de La Pensée Straight de Monique Wittig ont contribué à faire évoluer un peu plus loin ma position. Plutôt que de suivre la première stratégie qui consiste à élargir le champ des possibles dévolu à chaque case, « fille » ou « garçon », pour moi et pour mes enfants, je me demande s’il ne serait pas efficace de tenter aussi de sortir de ces cases, en explorant de mon côté la non-binarité.

Monique Wittig lie dans ses essais la domination féminine avec l’hétérosexualité, et invite les femmes à sortir du rôle de femmes (le lesbianisme étant pour elle non seulement un choix personnel mais aussi un choix politique permettant d’échapper à ce déterminisme d’un genre).

Elle compare les lesbiennes aux anciens esclaves « marrons », qui s’échappent pour sortir du piège de la dualité maître / esclave.

« Les lesbiennes ne sont pas des femmes », écrit Monique Wittig en 1980

Je pense personnellement que la non-binarité peut-être aussi une piste intéressante pour aller dans ce sens.

Les ressources que j’ai trouvées sur le sujet, (chaînes YouTube de Contrapoints et du Bric à Brac de Brieuc) m’ont permis de voir que la non-binarité reste une question complexe et liée à un enjeu de bien-être individuel. Je ne peux pas me dire « non-binaire » juste parce que je voudrais être humain.e avant tout! « Ce n’est pas un choix », « explorez plutôt vos besoins », dit Brieuc.

N’empêche que l’enjeu politique est ici pour moi (et comme souvent) lié à l’enjeu du développement personnel. L’engagement politique et militant nourrit l’individu que je suis (et inversement). Et je sens bien qu’il y a dans l’identité du genre que l’on m’a assigné à la naissance un certain nombre de choses avec lesquelles je suis à l’aise, en partie parce que j’ai co-construit cet zone de confort. Je me suis adaptée. Mais j’ai l’intuition que je m’interdis inconsciemment par ailleurs beaucoup de choses à cause de ce confort cis. Comme je l’ai ressenti dans plein d’autres domaines, ma zone de confort devient une sorte de prison.

Donc je fais (n’en déplaise à Brieuc), ce choix d’une identité non-binaire, en ligne, pour le moment, de façon à explorer les besoins non nourris que mon identité cis m’empêche de m’avouer.

Ce n’est que le début de mon cheminement. Ma lecture du moment pour avancer : La Main gauche de la nuit de l’incontournable Ursula K. Le Guin, qui évoque une planète dont les habitants n’ont pas de sexe (et donc de genre) en dehors de leurs périodes de reproduction.

Et plus tard si j’en ai le courage, le Trouble dans le genre de Judith Butler, aidé.e peut-être par l’intriguante série de vidéos live de Game of Hearth.

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